Est-ce que cela vous est déjà arrivé de “râler” sur un livre, en vous disant qu’une phrase vous paraissait mal construite ou illogique ? Ou dans un roman, de vous trouver un peu perdu(e) parce que “Y’a quelque chose qui cloche…” ? Et ça vous a franchement gâché la lecture ? 

Bien que certains se disent parfois, dans un tel cas, que l’auteur a une mauvaise plume, ou que le livre est mal écrit, il faut parfois creuser un peu plus loin…
Et c’est ce qui arrive, depuis quelques années, aux lecteurs de Stephen King plus particulièrement.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces dernières années, les fans de Stephen King ont les nerfs mis à rude épreuve par les traducteurs des romans de l’auteur… Erreurs grammaticales, erreurs flagrantes de traduction, parfois simples erreurs d’inattention, certes, mais qui ne devraient pas arriver…

Et puis surtout, quand on attend un roman avec grande impatience, et qu’on voit le prix du livre de plus en plus élevé, on peut s’attendre à avoir quelque chose qui répond à nos attentes… Donc quand ce n’est pas le cas, la déception est grande…

Si on regarde de plus près le dernier livre sorti – en français – du maître de l’horreur, le recueil Si ça saigne, n’est pas en reste dans les erreurs de retranscription et de traduction.

Un exemple :

– En version originale, «You know what they say, Brian.»

– En version française, «Tu sais ce qu’on dit, Doug.»

D’une version à l’autre, la même phrase n’est donc pas adressée au même personnage… On peut se dire que c’est une erreur d’inattention…
Mais un peu plus loin dans le livre, les deux mêmes personnages sont une fois de plus en pleine conversation, et là encore, ça pose souci :

Brian, en train de parler, évoque sa propre mère dans la version originale… qui devient mystérieusement celle de Doug en version française…

– «He loved dancing. He was good. So was Mom.»

– «Il adorait ça. Et il était doué. Ta mère aussi.»

Là, c’est clairement une erreur de traduction…

Une autre erreur de traduction ? Toujours dans le même recueil, quand une durée (4-5 ans) devient subitement l’âge d’un personnage :

– «What happened to Harry Peterson… that took longer. It was four, maybe five years on.»

– «Ce qui est arrivé à Harry Peterson… ça a pris plus de temps. Il devait avoir quatre ou cinq ans à l’époque.»

Là, il faut avouer que ça commence à faire beaucoup. 

Ces trois erreurs ont été mises en avant par Gorian Delpâture, chroniqueur littérature de la RTBF (télévision belge), mais il n’est pas le seul à en avoir constaté, et ce au fil des ans, car ce n’est pas juste cet opus qui en fait les frais.

Je dirais que cela fait une bonne dizaine d’années que c’est de plus en plus fréquent.

Quand on y regarde de plus près, cela arrive au final dans pas mal des ouvrages du King… et ça va au-delà d’une simple coquille de temps en temps…

Par exemple, on trouve fréquemment des phrases complètement éludées dans la version française, voire même certaines phrases, plus que simplement traduites, complètement réinterprétées par le traducteur/la traductrice… Là, ça commence à faire beaucoup, surtout que l’un des objectifs principaux d’un traducteur, comme celui d’un relecteur, est malgré tout de conserver l’idée et la pensée de l’auteur… et non pas d’y aller de sa propre interprétation et de sa propre vision des choses..

Parfois notamment, au niveau de certaines insultes traduites en étant modifiées et leur donnant une connotation sexuelle ou raciste qui n’était pas présente dans la version originale. C’est le cas dans Le fléau, par exemple, où dans la VO, rien n’indique que Nick soit noir ou typé, et qu’en VF, il se prend une insulte le traitant de – je cite – “bamboula”… Alors que si on reprend les versions VO des romans et comics, il n’est absolument pas noir ! De même, toujours dans le même livre, le 2 septembre devient, en cours de traduction, mystérieusement, le 2 décembre… Alors pourquoi avoir pris ces libertés de traduction ? 

C’est le cas également dans Docteur Sleep… Une phrase simple et efficace (Who died and left you in charge ? – Qui est mort et t’a laissé aux commandes ?) devient dans la version traduite une horreur sans nom : “Qui c’est qu’a clamecé et qui t’as foutu sur les endosses ?” On est loin de l’esprit original, je trouve..

Alors, qu’est-ce qui explique ces erreurs de plus en plus nombreuses et fréquentes ?

Pour certains, c’est le changement de traducteurs par la maison d’édition (pour rappel, Albin Michel est l’éditeur qui a la primeur de publier les romans de Stephen King en français.) En effet, William Olivier Desmond était le traducteur des romans de Stephen King. Il est cependant décédé en 2013, et son travail a donc été confié à d’autres personnes… (et pas toujours les mêmes, puisqu’au départ, il s’agissait de Nadine Gassie et Océane Bies (Docteur Sleep, Revival, Le bazar des mauvais rêves), mais si on prend Si ça saigne, par exemple, c’est Jean Esch qui s’est occupé de la traduction, tout comme l’Institut ou l’Outsider, par exemple).

Par contre, oui, certain(e)s traducteurs/traductrices sont réputés pour avoir la main lourde sur la réécriture et l’interprétation dans leurs traductions : C’est le cas de la précitée Nadine Gassie, qui dans Docteur Sleep, se lâche complètement, je trouve : Le livre, à un moment, parle de gamines de 13 ans en dit « All of them (…) moan over the same band. » (littéralement, « toutes gémissent sur le même groupe”) … on s’imagine très bien les groupies des années ‘90 à un concert de Take That… La traductrice en a fait : “mouillent leur culotte pour les mêmes chanteurs ”… euh, oui, on n’est pas obligé de sexualiser de la sorte les gamines de 13 ans non plus… je ne comprends pas comment ça a pu passer en relecture…

Vous l’aurez compris, je pense qu’Albin Michel n’a pas encore trouvé le digne descendant traducteur de Mr Desmond.

Une autre cause majeure semble également être le timing… En effet, les maisons d’éditions ont de plus en plus la pression (par le marché, par les lecteurs, …) pour sortir au plus vite les ouvrages à grand succès en version française, que les fans réclament à corps et à cris (bon, ok, j’en fais trop, je pense… mais vous voyez l’idée).

Quand on fait un bond dans le passé, il fallait compter un an et demi à peu près entre la sortie d’un ouvrage en VO et sa sortie VF… à présent, il faut compter 6 à 10 mois seulement pour voir la version traduite sortir… (j’en veux pour preuve Later, le dernier roman de l’auteur sorti en mars 2021 en VO, et déjà prévu pour novembre 2021 en VF. Alors oui, c’est un court roman par rapport à certains, mais quand même)…

Et donc fatalement, ces mois rognés, c’est du travail plus vite fait, voire bâclé… c’est des relectures en moins, c’est peut être une traduction plus pressée et moins attentive… 

Cela pose la question de ce qu’attendent les lecteurs, car au final, ce sont eux qui achètent le livre… Vaut-il mieux un livre qui sort rapidement en VF même s’il n’est pas parfait, ou attendre quelques mois de plus, mais avoir un travail de qualité ? 

Avez-vous déjà abandonné la lecture d’un livre uniquement parce que même sans avoir lu la VO, vous constatiez des erreurs de traduction et des tournures de phrases mal amenées ? 

Ça donne presque envie de se mettre plus sérieusement à la VO, vous ne trouvez pas ?

3 Responses

  1. C’est vraiment navrant. Chuck Palahniuk aussi a eu droit à des traductions désastreuses. Je me souviens qu’un ami se demandait pourquoi un personnage se retrouvait brusquement et sans qu’on sache pourquoi déguisé en Hitler dans une nouvelle d’A l’estomac, sauf qu’en VO, il n’était pas déguisé du tout, le personnage se comparait juste à Hitler dans une incise. Et Palahniuk était édité chez Gallimard à l’époque… Ca fait une dizaine d’années que je ne lis plus de traductions de l’anglais. Je préfère en baver que risquer de subir une traduction dont je ne suis pas sûre et qui fait de toute façon perdre la musique du texte. Pour ce qui est de Stephen King, ce n’est qu’en l’abordant en VO que j’ai vraiment découvert et apprécié sa plume.

    • Ah oui, donc ce n’est pas « que chez un éditeur », chez Gallimard aussi 🙁 je trouve ça dommage qu’ils ne soient pas plus vigilent… Ils se disent peut être que personne n’y verra rien, ou que ce n’est pas grave, les livres se vendront quand même vu la notoriété de ces auteurs…

      C’est clair que c’est triste, car tout le monde ne peut/sait pas lire en VO, et que les gens qui lisent en VF du coup risquent de décrédibiliser un auteur qui au final n’y est pour rien…
      J’avoue que ça fait des années que je me dis que je devrais lire plus en VO, mais comme je lis principalement le soir, après une journée de boulot, je n’ai pas vraiment envie de me « prendre la tête » et du coup, je choisis la facilité de la VF.
      Mais oui, clairement, en lisant la traduction, on perd une partie du charme de la version originale…

      • Dans Fight Club de Palahniuk, j’ai repéré une phrase qui manquait et un « – No, really. » devenu « – Pas vraiment. » en VF. Je crois que si on prenait systématiquement la peine de comparer VO et VF, on aurait des surprises…

        En temps que lecteur, c’est difficile de ne pas voir ce manque de soin des éditeurs comme une forme de mépris. S’ils prenaient la peine de considérer à sa juste valeur et de rémunérer correctement les free-lance qui travaillent pour eux (correcteurs, traducteurs, etc.), on n’en serait pas là. Si de plus en plus gens prennent la peine de râler, ça les forcera peut-être à revoir un peu leur méthode…

        Je comprends que la lecture en VO puisse ne pas être très engageante. C’est vrai que ça demande un effort de concentration supplémentaire. Avec l’habitude, ça devient plus facile. L’idéal est peut-être de lire sur liseuse, ça permet d’utiliser facilement le dictionnaire en lisant. (L’autre avantage de lire en anglais, c’est qu’on a accès à beaucoup plus de livres.)

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