Hideo Kojima est de retour avec Death Stranding 2, et, sans surprise, personne ne comprend vraiment ce qui se passe. Mais tout le monde est captivé quand même, un peu comme quand on regarde un film d’auteur en se disant qu’on aura sûrement une révélation en cours de route… mais, au final, on se retrouve juste à hocher la tête en silence, avec un air inspiré. Parce que bon, Norman Reedus qui transporte des trucs dans un monde post-apocalyptique, ça reste fascinant surtout quand il discute avec un bébé en bocal.
Le jeu reprend là où le premier s’était arrêté, sauf qu’on n’est jamais très sûr de ce que « là » veut vraiment dire. Puisqu’on oscille entre réalité, rêve, souvenirs génétiquement modifiés et scènes où les personnages discutent de la mort comme s’ils étaient dans un café philo un peu trop conceptuel. Mais ça fait le charme du truc, et franchement, voir Léa Seydoux apparaître au détour d’un cratère n’a jamais été aussi stylé même si elle a toujours l’air de cacher quelque chose, probablement un second scénario dissimulé sous sa veste.
Côté gameplay, on retrouve l’essence même du simulateur de facteur en milieu hostile. Sauf que, cette fois-ci, on sent que Kojima a voulu nous offrir une version plus aboutie de son concept, avec des mécaniques étendues, des gadgets toujours plus absurdes mais diablement utiles, comme le parapluie qui sert à capter les ondes de la mort, ou la moto amphibie qu’on aurait bien voulu avoir dans le premier épisode. Parce que bon, escalader des montagnes avec un frigo sur le dos, c’est marrant deux minutes, mais pas pendant vingt heures.
L’ambiance sonore est toujours aussi travaillée, avec des musiques qui débarquent pile au bon moment, souvent quand on commence à désespérer au milieu d’un désert de sable noir et de mains fantomatiques. Ce qui a le don de redonner foi en l’humanité, ou au moins en notre capacité à livrer un colis dans les délais. Et on ne remerciera jamais assez Low Roar pour ces moments de grâce auditive, même si le jeu aime aussi nous surprendre avec des silences pesants qui mettent les nerfs à rude épreuve.
Graphiquement, c’est une claque visuelle, comme on pouvait s’y attendre, avec des environnements aussi sublimes que déprimants. Chaque brin d’herbe semble hurler « je suis la dernière plante de ce continent, alors regarde-moi bien », et chaque falaise semble avoir été sculptée à la main par un géant mélancolique. Cela donne une impression constante de beauté tragique, renforcée par des effets météo qui feraient pleurer un météorologue, surtout quand la pluie accélère le vieillissement : pratique pour le fromage, moins pour les livraisons.
L’histoire, quant à elle, continue de jouer sur le fil entre le génial et l’absurde, avec des personnages qui ont des noms à faire rougir une bande dessinée de super-héros français, des dialogues énigmatiques sur l’extinction de l’espèce humaine, et des cinématiques qui s’étendent parfois plus longtemps qu’un épisode moyen de série télé. Mais on ne s’en plaint pas trop, parce qu’on sent bien qu’il y a un message profond là-dessous, même si on ne sait pas trop s’il s’agit d’une critique sociale ou d’une pub déguisée pour les sacs à dos modulaires.
Le multijoueur asymétrique revient également, toujours aussi original dans son idée de créer du lien sans jamais croiser réellement d’autres joueurs. Et cette fois-ci, les structures qu’on laisse derrière soi peuvent évoluer, être embellies ou carrément détournées pour en faire des œuvres d’art collaboratives. Ce qui donne au jeu une saveur un peu plus humaine et poétique, comme si, même dans la fin du monde, on avait encore envie de construire des ponts ensemble, au propre comme au figuré.
Mais attention, tout n’est pas parfait dans ce grand trip existentiel en sac à dos. Le jeu traîne parfois la patte, au point qu’on se demande si Kojima n’a pas voulu qu’on ressente physiquement l’ennui métaphysique de ses personnages : certaines séquences sont interminables, et pas toujours justifiées autrement que par un amour immodéré du plan contemplatif sur des cailloux humides. Le gameplay, bien qu’enrichi, reste clivant : ceux qui n’adhèrent pas à l’idée de marcher pendant des heures en jonglant avec son équilibre comme un serveur dans une rave post-apocalyptique risquent de décrocher vite. Et puis il y a cette narration, toujours aussi cryptique, qui confond parfois complexité et confusion, en nous bombardant de concepts pseudo-scientifiques et de monologues philosophiques qui semblent sortis d’un cours de socio-fiction niveau bac+12. Sans parler de quelques lourdeurs d’interface et de menus toujours aussi ergonomiques qu’un panneau de contrôle soviétique : on s’y perd autant que dans l’intrigue.
Alors non, Death Stranding 2 ne vous dira pas clairement où aller, ni pourquoi vous portez un cercueil réfrigéré en équilibre sur une échelle en aluminium plantée au sommet d’un canyon. Mais c’est précisément ça, le charme : cette impression d’être perdu dans une œuvre d’art interactive, où chaque détour raconte quelque chose, même si ce n’est pas toujours clair quoi. C’est un jeu qui vous regarde droit dans les yeux en murmurant « fais-moi confiance » tout en vous envoyant marcher huit kilomètres sous la pluie acide avec un bébé qui pleure dans une boîte. Et contre toute attente… on dit oui. Parce qu’au fond, on n’a jamais eu autant envie de livrer du sens là où il n’y en a pas forcément.
No responses yet