C’est une silhouette discrète mais immédiatement reconnaissable pour les amateurs de bande dessinée. Ce week-end, Naoki Urasawa a foulé pour la première fois les pavés d’Amiens, à l’occasion de la 29e Rendez-vous de la Bande Dessinée d’Amiens. Une venue rare, presque historique : l’auteur culte de Monster, 20th Century Boys, Pluto et plus récemment Asadora! ne se déplace que rarement en dehors du Japon.

C’est à l’abri de l’agitation, en cercle restreint, que nous avons approché l’univers fascinant de ce maître du manga.

Un événement d’envergure pour Amiens

Pour le directeur du festival, cette invitation est une consécration :

“Urasawa est l’un des plus grands conteurs contemporains. Il a porté le manga vers une maturité narrative que peu d’auteurs osaient explorer. Le recevoir ici, à Amiens, c’est une chance immense — pour les lecteurs, pour la ville, pour la BD en général.”

Présent tout au long du week-end, Urasawa a enchaîné conférences, masterclasses et rencontres publiques avec une générosité calme, posée. Interrogé sur son lien avec la France, il répond d’un sourire :

“C’est le premier pays étranger à m’avoir lu autrement que comme un simple divertissement. En France, j’ai senti que les lecteurs lisaient avec le cœur, pas juste pour passer le temps. Cela m’a profondément marqué.”

Une œuvre à la croisée des genres

Urasawa est reconnu pour avoir renouvelé le thriller psychologique en manga. Monster, publié entre 1994 et 2001, suit un neurochirurgien poursuivi par la créature qu’il a sauvé — une plongée dans la culpabilité, la mémoire, et les zones grises de la morale. 20th Century Boys explore quant à lui la paranoïa collective, le pouvoir des récits d’enfance et les dérives messianiques.

Mais ces dernières années, l’auteur a pris un virage différent. Asadora!, sa dernière série en cours, suit le destin d’une jeune fille de l’après-guerre japonais dans un mélange audacieux de réalisme social, de chronique historique et de science-fiction.

Nous l’interrogeons sur la genèse du projet. Il répond avec un léger rire :

« Je voulais raconter une histoire simple et humaine, mais dans un contexte où tout peut basculer à chaque instant. J’aime les personnages qui avancent même quand tout est contre eux. » Et Asa, son héroïne, incarne exactement cela. Une jeune fille vive, débrouillarde, qui traverse les épreuves avec une énergie contagieuse. « Asa n’est pas une super-héroïne, elle n’a pas de pouvoirs. Mais elle agit, elle refuse de rester spectatrice. »

Urasawa poursuit, les mains animées de gestes discrets. Il explique que Asadora! est né d’un besoin presque urgent de revenir aux racines.

« Après des séries complexes comme 20th Century Boys ou Billy Bat, j’avais envie d’une histoire plus directe. Mais bien sûr, je ne peux pas m’empêcher d’y glisser un mystère, une tension, une ombre gigantesque qui plane. »

Nous évoquons alors le fameux monstre, figure énigmatique qui hante les pages du manga. Urasawa élude avec amusement :

« Je ne dirai rien. Ce n’est pas un manga sur un monstre. C’est une histoire sur la reconstruction, sur ce que font les gens quand tout s’effondre. Le monstre, c’est une métaphore. Ou peut-être pas. »

À travers Asa, il explore une période charnière du Japon, celle de l’après-guerre, avec ses traumatismes mais aussi sa formidable énergie de renouveau. Il parle de Tokyo, des typhons, de la radio, des avions. Il parle d’héroïsme du quotidien, celui qu’il chérit depuis toujours.

« Les petites actions changent parfois le cours des choses. J’ai toujours cru à ça. »

Avant de conclure, il confie avec une sincérité touchante : « J’espère que les lecteurs verront Asa comme une amie. Quelqu’un qui leur donne du courage, sans grands discours. Elle agit. Et parfois, c’est suffisant pour sauver le monde. »

“J’avais envie de lumière. Asa est un personnage optimiste, fonceuse. C’est une manière pour moi de dire que même au milieu des ruines, une vie peut éclore, et changer le monde.”

© 20XX Naoki URASAWA

Une invitation comme un dialogue culturel

Sa venue à Amiens s’inscrit dans une volonté du festival d’élargir la définition même de la bande dessinée. Loin de se limiter au franco-belge, la programmation 2025 a mis l’accent sur les narrations sérielles et transnationales, avec une large section consacrée au manga, à l’initiative notamment d’un partenariat avec les éditions Kana.

Lors de la cérémonie d’ouverture, Urasawa a évoqué ce “dialogue entre cultures dessinées”, citant aussi bien Osamu Tezuka que Moebius comme ses influences.

“Je crois qu’un trait de crayon peut traverser les frontières plus vite qu’un avion. À Amiens, je vois des enfants, des parents, des étudiants qui me parlent de Kenji, de Johan, d’Asa… Cela me bouleverse.”

Une présence rare, un moment précieux

Le public amiénois ne s’est pas trompé. Dès les premières heures du salon, les files pour assister à ses conférences étaient complètes. Certains lecteurs avaient fait des centaines de kilomètres. D’autres tenaient entre les mains des tomes écornés, lus et relus depuis vingt ans.

Et si l’auteur reste discret sur ses projets futurs, il laisse entendre que le trait n’est pas près de s’arrêter.

“Tant qu’une histoire me réveille la nuit, je la dessinerai. Et si elle vous réveille à votre tour, alors nous aurons réussi quelque chose.”

Nous remercions les Editions Kana pour l’invitation pour ce moment magique !

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