Jump the Track, c’est un peu ce qui se passe quand un visual novel existentiel rencontre un flipper japonais sous acide. Derrière ce concept bizarre se cache un jeu au ton à la fois cynique, drôle et cruellement actuel. On y suit les mésaventures de Sam, un jeune adulte englué dans les galères modernes du travail à la tâche. Sa vie ressemble à un enchaînement de microcontrats alimentaires et de rêves en pointillés, jusqu’au moment où – sans trop qu’on sache pourquoi – il commence à vivre des expériences… disons, légèrement hallucinées. Et c’est là que Jump the Track devient autre chose : un jeu qui vous pousse à réfléchir, tout en vous catapultant dans une machine de pachinko géante qui sert littéralement de métaphore à ses choix de vie. Oui, c’est aussi bizarre que ça en a l’air. Et pourtant, ça marche.
Le cœur du gameplay repose sur un système de décisions interactives très original. Plutôt que de simplement cliquer sur une option de dialogue comme dans la plupart des visual novels, ici on « joue » vos décisions en lançant une bille dans un décor inspiré du pachinko. La direction que prend la bille – et donc la suite de l’histoire – dépend à la fois de votre adresse et de votre karma vidéoludique. Le concept peut dérouter au début, mais il s’intègre étrangement bien à la narration : le hasard, la mécanique, l’impuissance. Autant de thèmes qui collent parfaitement à ce que vit Sam, et que vous ressentez presque physiquement. Vous n’avez jamais aussi bien compris la précarité que quand une bille rebondit mollement vers l’échec.
Visuellement, Jump the Track mise sur une direction artistique colorée et contrastée, quelque part entre une série animée post-moderne et un rêve sous néon. Les personnages sont expressifs, parfois caricaturaux, mais toujours servis par une mise en scène dynamique qui donne vie aux séquences les plus banales comme les plus absurdes. Le jeu ne lésine pas sur les effets visuels pour traduire les délires intérieurs de Sam – ou simplement la dure réalité d’un monde qui semble avoir perdu le mode d’emploi de l’humanité. L’ambiance sonore suit la même logique, alternant musiques électro planantes et effets bien placés pour souligner l’absurde ou l’angoisse. Mention spéciale aux moments de silence, souvent plus parlants que n’importe quel monologue.
Derrière son apparence de jeu étrange et coloré, Jump the Track parle sérieusement. Le jeu explore frontalement les réalités de la précarité, de la pression sociale, de la déshumanisation du travail, mais toujours avec une forme d’élégance et de second degré. Il ne cherche pas à vous moraliser ou à jouer la carte du misérabilisme ; au contraire, il fait le choix du ton absurde et de l’humour noir pour faire passer ses messages. Certains dialogues piquent un peu, d’autres font sourire jaune, et quelques-uns frappent juste au cœur, sans prévenir. C’est bien écrit, ça sonne vrai, et même si le jeu est court (comptez 1h30 à 2h), il laisse un vrai goût de réflexion en bouche.
Jump the Track est de ces titres discrets qui ne payent pas de mine, mais qui vous restent en tête bien après la fin. Ce n’est pas un jeu à gameplay complexe, ni un roman fleuve. C’est une parenthèse étrange, parfois drôle, parfois brutale, qui mélange les genres pour mieux vous parler du monde réel. Il faut accepter sa bizarrerie, son ton à part, et son gameplay un peu atypique – mais si vous entrez dans son délire, vous en ressortirez probablement différent. Et un peu plus critique envers vos livraisons à la demande.
Jump the Track, c’est un peu comme ta vie : tu crois que tu contrôles, mais en fait c’est une bille qui rebondit sur des trucs flous – sauf qu’ici, au moins, c’est joli et t’as une fin.
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