Plonger dans Crown Gambit, c’est un peu comme ouvrir un vieux grimoire poussiéreux et se rendre compte qu’il s’agit en fait d’un jeu de stratégie bourré de cartes, de dilemmes moraux et de personnages qui n’ont clairement pas signé pour une aventure tranquille. Le jeu nous catapulte dans une ambiance dark fantasy inspirée du folklore celtique, où trois paladins — Aliza la sabreuse pragmatique, Hael le clerc au lourd fardeau, et Rollo, un marin au passé trouble — sont envoyés régler une affaire royale qui tourne rapidement à la catastrophe ésotérique. Et pour accomplir leur mission, ils n’ont ni épée magique, ni dragon à chevaucher, mais un deck de cartes redoutablement complexe et capricieux.

Le cœur du jeu repose sur des combats tactiques au tour par tour, dans lesquels nos héros agissent sur une sorte d’échiquier maudit où chaque mouvement doit être savamment calculé. Chaque personnage dispose de ses cartes personnelles, mêlant attaques, soins ou effets spéciaux, et c’est là que le charme (ou la migraine) opère : à chaque tour, vous piochez, vous cogitez, vous soupirez, puis vous lancez un combo en priant que l’ennemi ne vous transforme pas en souvenir sur un autel. Les premières heures peuvent frustrer : les ennemis sont solides, vos héros patauds, et la mécanique de deck-building demande un certain investissement. Mais passé ce cap, le système révèle une belle profondeur stratégique.

Un des ingrédients les plus intrigants — et parfois frustrants — du jeu, c’est la “Grâce Ancestrale”, un pouvoir spécial qui permet d’invoquer de puissants effets, mais à un prix. En effet, plus vous y touchez, plus vous abîmez l’équilibre psychologique de vos personnages. C’est un peu le diable qui vous tend une carte en disant “allez, juste une fois”. Narrativement, c’est une idée brillante qui renforce le poids des choix ; en pratique, on peut très bien s’en passer pour peu qu’on gère bien son deck. Mais avouez, c’est tentant d’appuyer sur le bouton rouge, juste pour voir.

Sur le plan esthétique, Crown Gambit en impose. L’artiste français Gobert a livré un travail visuel splendide, avec un style expressionniste très marqué, fait d’aplats sombres, de visages torturés et de mouvements stylisés qui donnent vie aux cartes comme s’il s’agissait de visions surgies d’un rêve fiévreux. L’interface, bien qu’un peu chargée par moments, reste lisible et contribue à cette ambiance d’épopée maudite où le moindre combat semble avoir été peint sur une toile de deuil.

Mais tout n’est pas parfait dans ce royaume en ruines. Si les combats sont solides et intelligents, leur rythme peut devenir lent, surtout à mesure que l’on enchaîne les batailles sans véritable montée en puissance spectaculaire. Le jeu tente de varier l’expérience avec de petits mini-jeux narratifs ou des mécaniques de surveillance de cartes, mais cela ne suffit pas toujours à éviter une certaine lassitude. On a parfois l’impression de s’enliser dans des mécaniques brillantes sur le papier, mais un peu répétitives à la longue.

Crown Gambit est une œuvre exigeante, belle et ambitieuse, qui plaira sans aucun doute aux amateurs de deck-building narratif et de mondes torturés. Ce n’est pas une aventure à prendre à la légère : elle demande du temps, de l’attention, et un peu de masochisme ludique. Mais si vous aimez les jeux où vos choix ont des conséquences, où chaque combat est un puzzle à résoudre, et où vos personnages peuvent s’effondrer mentalement avant même la fin de l’acte 1, alors ce pari royal a toutes les chances de vous séduire.

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