L’année dernière, la trilogie originale de Tomb Raider a eu droit à un joli coup de polish avec une collection remasterisée, un hommage à l’origine d’un genre et à la montée en puissance d’une icône du jeu vidéo. Une icône devenue, un peu par accident, une mascotte marketing incontournable. Cette année, c’est au tour des trois épisodes suivants d’être dépoussiérés, juste à temps pour la période des fêtes.
Dans The Last Revelation, Lara Croft déclenche un cataclysme en libérant par inadvertance un dieu égyptien, la forçant à affronter son destin. Chronicles prend une approche plus introspective : alors que l’archéologue est présumée morte, ses proches racontent ses aventures passées, tissant un hommage en forme de flashbacks. Mais rassurez-vous, Lara n’est pas restée longtemps hors service : Angel of Darkness marque son retour sur PlayStation 2, dans une ambiance plus sombre et expérimentale. Accusée du meurtre de son mentor, elle devient une fugitive, plus tourmentée que jamais, dans un jeu qui tentait d’emmener la saga vers quelque chose de plus narratif… sans trop savoir comment s’y prendre. Une époque où le look gothique et le mascara dégoulinant étaient en vogue.
Cette trilogie appartient à une période de transition, avant que la licence ne connaisse une succession de reboots et de changements de studio, jusqu’à sa réinvention réussie en 2013. Mais tout ça, c’est encore du futur. Ce qui nous intéresse ici, c’est cette tentative de revisiter le passé à travers une loupe un peu déformante.
Ce remaster mise sur des textures haute définition, des modèles de personnages retapés et des environnements légèrement affinés, donnant un style visuel qui flotte entre deux époques – ni tout à fait rétro, ni totalement moderne. Le résultat est… intrigant. On a parfois l’impression d’un jeu conçu pour la PS1, mais tournant sur un téléphone en surchauffe. L’attention aux détails est indéniable, mais il y a un drôle de décalage entre les formes polygonales rigides et les textures ultra nettes, donnant tantôt un effet bluffant, tantôt un rendu cheap.
Là où The Last Revelation et Chronicles gagnent en lisibilité avec des contrastes plus marqués, l’éclairage reste un point sensible. Certains objets et passages sont désormais plus difficiles à discerner, rendant l’expérience parfois plus laborieuse que dans les versions d’origine. C’est le paradoxe de ces remasters : vouloir moderniser sans trahir l’identité du jeu.
L’un des arguments phares de cette collection est la possibilité de switcher instantanément entre les graphismes d’origine et les nouveaux visuels HD. Sur le papier, c’est un vrai plus. Mais en réalité, ce « mode classique » est trompeur : les défauts typiques de l’ère PlayStation – les polygones tremblotants, la distorsion des textures, la distance d’affichage réduite – ont été gommés. Certains verront ça comme une bénédiction, d’autres comme une trahison. Moi, en tant que joueur ayant découvert ces jeux sur console, c’est justement ces petites imperfections qui me rappellent l’expérience authentique.
Au-delà du visuel, le plus gros enjeu d’un tel remaster reste la jouabilité. Et sur ce point, difficile de masquer le poids des années. Certes, les développeurs ont ajouté un mode de contrôle « moderne », avec une caméra libre et des déplacements plus souples. Mais ce qui pourrait sembler être une bonne idée sur le papier devient vite un cauchemar en pratique.
Ces jeux ont été conçus autour de commandes rigides et d’un level design en grille. Chaque saut, chaque plateforme nécessitait un placement millimétré, un ajustement précis de l’angle et de la distance. Avec ces nouveaux contrôles, Lara est plus fluide, mais elle devient aussi plus imprécise. Les sauts autrefois calculés au pixel près deviennent des moments de frustration où la moindre erreur d’orientation peut mener à une chute fatale. D’un côté, on a une maniabilité archaïque mais fonctionnelle. De l’autre, une modernisation qui rentre en collision avec un game design d’une autre époque. À vous de choisir votre poison.
Rejouer à ces Tomb Raider, c’est un peu comme faire de l’archéologie vidéoludique. On y voit l’évolution progressive des mécaniques d’action-aventure : The Last Revelation introduit le balancement sur les cordes, Chronicles pousse encore plus loin l’équilibrisme, et Angel of Darkness tente d’intégrer des choix de dialogue – un pas hésitant vers la narration interactive.
Ce qui force encore plus le respect, c’est la cadence infernale imposée à Core Design à l’époque. Un Tomb Raider par an, sans pause. Un rythme aujourd’hui inimaginable, même pour les franchises annuelles comme Call of Duty, qui reposent sur plusieurs studios en rotation. Et pourtant, malgré cette pression, chaque épisode ajoutait son lot d’améliorations, parfois subtiles, parfois majeures.
L’héritage de ces jeux est évident. Bien avant Uncharted, Lara escaladait déjà des corniches, marchait en équilibre, et combinait plateforme, exploration et gunfights. C’était la préhistoire de l’action-aventure moderne.
Si Angel of Darkness reste l’épisode le plus controversé, c’est aussi le plus intéressant à redécouvrir. Ses contrôles de type « tank » reviennent à un moment où la plupart des jeux d’action-aventure misaient sur plus de fluidité et d’intuitivité. Le contraste est d’autant plus flagrant que les environnements sont plus détaillés, donnant l’illusion que Lara pourrait grimper et interagir avec presque tout. Mais non. Ce n’est que du décor.
Les développeurs n’avaient pas encore trouvé l’astuce de la peinture jaune magique, ce petit repère discret qui, aujourd’hui, guide naturellement les joueurs vers les éléments interactifs. Ici, il faut expérimenter, deviner. Ce manque de clarté renforce un sentiment d’incohérence entre le level design et la maniabilité.
L’ajout des contrôles modernes ne résout pas le problème, au contraire. Le jeu reste conçu pour une approche méthodique et rigide. Passer à une jouabilité plus fluide met encore plus en évidence l’incompatibilité entre les mouvements de Lara et les contraintes du level design.
Alors, que reste-t-il de cette trilogie remasterisée ? Une meilleure lisibilité, des graphismes affinés, une sauvegarde rapide bienvenue… mais aussi un étrange sentiment d’artificialité. Un lissage qui gomme une partie de l’identité de ces jeux.
Lara Croft n’a pas spécialement bien vieilli. Et c’est normal. Personne ne traverse les décennies sans en porter les marques. Mais ce remaster, avec son filtre HD façon TikTok beauté, ne la rajeunit pas vraiment. Ses genoux ne sont pas plus solides, ses aventures ne sont pas plus mémorables, et son gameplay ne devient pas plus accessible.
Alors, à moins d’être un inconditionnel de la saga ou un archéologue vidéoludique passionné, il n’y a peut-être pas de raison impérieuse de replonger dans ce temple en haute définition.
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